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Un colis pour Cuba

Dernière mise à jour : 2 déc. 2021

« TOI

Qui que tu sois!

Je te suis bien plus proche qu’étranger. »


Toi-Moi, poème d’Andrée Chedid, mis en musique par Matthieu Chedid -M





Laurentides, semaine du 12 juillet 2021


J’ai fini par plier bagages.


Je suis partie me réfugier dans un chalet au bord d’un lac. C’est un été bizarre, depuis plusieurs jours on gèle, et l’automne en juillet me déprime. Le cellulaire est si facilement à portée de main pour qui n’arrive pas à faire le vide…


Un soir, je reviens du village en voiture après un spectacle musical en plein air gâché par la pluie. Je me stationne sous les arbres, éteins le moteur et écoute la pluie frapper le métal de la carrosserie. Je suis seule dans l’habitacle, isolée du reste du monde par l’orage, la forêt et la nuit. L’air qui m’entoure me paraît même avoir épaissi. Un moment d’intimité totale. J’ai envie de rester cachée là. Je sors mon cellulaire et me plonge dans le monde virtuel des réseaux sociaux.


Manuel, un ami cubain, m’a écrit sur Messenger: « Ahora estoy esperando el resultado del PCR. » Je suis dans l’attente d’un résultat de test PCR. Parfaitement laconique comme message, surtout qu’on ne s’écrit pas souvent… Qu’est-ce qu’il veut me dire, exactement?


Je relis la phrase plusieurs fois. J’ai un peu froid, tout à coup.


La façon cubaine d’exprimer ceci: « Je suis malade, j’ai attrapé la COVID. »


Je me sens détachée, sans émotion aucune. Puis les larmes montent. Au début, seulement de quoi renifler.


« Oh non!… »


Ensuite, le déluge.



J’ai pleuré ma dernière année en entier: les visages fiévreux, la toux caractéristique, les discussions avec les patients sur les décisions à prendre, les familles parfois agressives au téléphone, les vieillards en perte d’autonomie, les couples séparés par la maladie, les filles qui se sentent coupables d’avoir infecté leur mère qui prend soin des enfants tandis qu’elles mènent leur carrière dans des milieux à risque élevé, les personnes en situation de handicap (dystrophie musculaire, trisomie et autre), déjà si vulnérables, qui sont davantage frappées par la COVID et ses complications, les proches qui se font menacer par leur employeur parce qu’ils désirent rendre visite à un de leurs parents mourant, les protocoles de sédation palliative, les patients qui meurent complètement seuls…


Et je me suis demandée comment on peut sortir indemne après avoir vécu d’aussi près une telle tragédie.



« Non!… »


Surtout, je pleure parce que j’aime beaucoup Manuel et que j’ai peur de ce qui pourrait lui arriver…


***


Le lendemain matin, je suis assise dans un fauteuil, les pieds sur le bord de la fenêtre, avec un café et mon cellulaire à la main.


« As-tu des symptômes?

- Je me sens fiévreux, je tousse un peu et j’ai mal au dos.

- Depuis quand?

- Cela a commencé il y a 4 jours. »


Nous nous écrivons en espagnol.


« Et ta femme?

- Depuis hier, elle tousse et elle a la diarrhée. »


La communication est parfois interrompue et la connexion lente. Depuis les manifestations anti-gouvernementales à Cuba, le gouvernement cubain a coupé l’accès à Internet à sa population et Manuel utilise un réseau VPN.


« Y a-t-il d’autres personnes malades?

- Ma soeur. Mon beau-frère. Et mes parents.

- Quoi?!

- Je l’ai attrapé dans l’édifice où habitent mes parents âgés, que j’allais aider même si je savais que plusieurs de leurs voisins étaient positifs. Je n’ai jamais enlevé mon masque, pourtant.

- Qui s’occupe d’eux maintenant?

- Mon autre soeur.

- Elle va l’attraper aussi!

- Je le sais… »



Depuis le début de la pandémie, je m’intéresse à la gestion de la crise sanitaire à Cuba. Je regarde avec fascination les vidéos de l’épidémiologiste en chef, le Dr Francisco Durán García, qui, vêtu d’une blouse blanche, commente jour après jour les statistiques à la télévision d’État depuis plus d’un an et demi.


Au départ, Cuba a opté pour la transparence, avec la publication quotidienne d’une liste du nombre de nouvelles infections par région, ainsi qu’une description détaillée des cas hospitalisés, incluant l’âge, le sexe, les antécédents médicaux et l’état clinique de chacun des patients.


Les premiers mois ont été marqués par une recherche active des cas et contacts par des escouades d’étudiants en médecine qui faisaient du porte-à-porte pour identifier les personnes symptomatiques et les isoler dans des centres prévus à cet effet.


A l’automne 2020, il n’y avait qu’une trentaine de nouvelles infections par jour sur cette île de plus de 11 millions d’habitants, témoignant du succès remarquable de cette approche.


Malheureusement, pour des raisons économiques, le gouvernement cubain a choisi de réouvrir progressivement le pays aux touristes étrangers à partir de la mi-octobre 2020. Dès le mois de décembre, on notait une recrudescence des cas qui s’est poursuivie à l’hiver, bien qu’à partir du mois de janvier 2021, seuls les touristes russes continuaient d’affluer sur les plages cubaines.


En juin 2021, le nombre de cas a explosé. Dans la province de Matanzas, où se trouve la station balnéaire de Varadero, le taux d’attaque était si élevé qu’il est impossible que les autorités cubaines aient pu tenir un registre exact de l’ampleur de la crise. Au même moment, la Russie entrait dans une vague liée au variant Delta, qui submerge toujours ce pays d’Europe.


Et le système de santé dont les cubains sont si fiers s’est effondré. Médecins et infirmières sont tombés malades ou ont déserté leur poste par peur d’être infectés. Dans plusieurs régions, les hôpitaux n’ont pu être approvisionnés adéquatement en oxygène, car la principale usine de production d’oxygène médical du pays est tombée en panne. Des images d’hôpitaux qui débordent, de patients à même le sol, de cimetières qui ne suffisent plus, ont circulé sur les réseaux sociaux. Des médecins cubains ont pris la parole pour dénoncer la situation dans des vidéos diffusées sur le web, au risque de se retrouver en prison.


Maintenant que les données épidémiologiques sont catastrophiques, je continue à regarder les points de presse du Dr Durán García pour voir s’il manifeste de l’indignation devant ce dénouement si tristement prévisible. Et ce scientifique à l’allure bienveillante me fascine d’autant plus qu’il garde un visage impassible et parle avec un même ton égal, comme lorsque tout était sous contrôle…






« Que pourrais-je faire pour aller mieux? me demande Manuel.

- Bois beaucoup d’eau, tu dois te garder bien hydraté. As-tu de l’acétaminophène?

- Un peu. (Un peu…!)

- Il faut être particulièrement vigilant vers les jours 7 à 10 du début des symptômes, parce que c’est à ce moment que les difficultés respiratoires peuvent survenir. Y a-t-il un hôpital près de chez toi?

- Une polyclinique. (Une polyclinique…!) »


Manuel vit dans une petite ville cubaine qui porte le nom d’une fleur. C’est un homme lumineux, qui sourit tout le temps et prend la vie avec beaucoup de simplicité.


« Comme je suis désolée de ce qui t’arrive, et comme j’espère que vous allez tous vous en sortir! Je t’en prie, tiens-moi au courant! »



La 2e partie de ce texte sera publiée samedi



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